Ironiquement, ni l’un ni l’autre ne survivra, tant et si bien que le moindre apprenti philosophe vous dirait qu’il vaut mieux vivre avant de mourir, le tout étant de savoir comment. Et c’est à une célébration de la vie que nous conviaient les finissants de l’École de théâtre professionnel du Collège Lionel-Groulx et le metteur en scène Alain Zouvi, cette semaine au Théâtre Lionel-Groulx, en s’attaquant à cette formidable pièce de Ionesco qui ne faisait jamais rien comme les autres.
Cabaret létal
Nous étions même accueillis par Fernand Gignac et Marie-Michèle Desrosiers, dont les chants de Noël (eh oui!) jouaient en sourdine, dès l’entrée du public, ce qui ne tenait guère du hasard puisque c’est dans cette atmosphère de joyeux temps des Fêtes qu’Alain Zouvi étayait momentanément sa proposition, les banderoles ornant les différentes parties du décor, les guirlandes rehaussant les costumes colorés des citoyens qui se baladaient gaiement en bavardant, s’échangeant de banales politesses jusqu’à ce que le mal frappe, de façon aussi subite qu’inexpliquée. Deux morts. Trois morts. Une multitude de morts.
Dans Jeux de massacre, les gens s’arrêtent de vivre tout sec et à un rythme affolant au fil des tableaux qui s’enchaînent, celui des deux prisonniers n’étant qu’un numéro parmi tant d’autres dans ce cabaret létal où les protagonistes viennent jouer la mort à tour de rôle. Ils sont à bout de nerfs, ils se méfient les uns des autres, ils érigent des murs entre eux, barricadent portes et fenêtres, s’entretuent et s’entredévorent. Les scientifiques proposent des explications saugrenues, les politiciens font de la récupération, jouent sur la peur des gens, les policiers abusent de leur autorité, ce capharnaüm apparent prenant soudain des airs familiers.
Un curieux amalgame
Et n’en doutez pas, on rigole ferme devant ce spectacle qui déborde la scène (les acteurs sont parfois assis parmi les spectateurs), où les propositions de jeu, toutes intéressantes pour la plupart, n’en composent pas moins un amalgame étrange et disparate dont on cherche encore le liant, cet ingrédient qui en ferait un ensemble dynamique. Quand ce n’est pas un accent discordant, c’est un personnage qui meurt curieusement en tombant, alors que tous les autres figent en pleine action, c’est une montée dramatique qui se rompt sans motif, un silence qui s’étire, de bien petites choses, en fait, qui n’en ont pas moins un effet distrayant.
La pièce a été montée tellement de fois qu’on doit certainement se gratter un peu la tête à chaque fois, et c’est avec toute son équipe que le metteur en scène indiquait avoir abordé la chose, accueillant les propositions des interprètes (il y a 115 personnages dans cette pièce), souvent par le biais de l’improvisation. Ceci explique-t-il cela? Pas la moindre idée.
On ne s’ennuie jamais
Chose certaine, plusieurs de ces numéros (appelons ça ainsi) étaient absolument savoureux. Ce ridicule sextuor de médecins a été apprêté à plus d’une sauce, depuis la création de la pièce en 1970, mais l’a-t-on déjà fait sur le mode de la comédie musicale? C’était absolument hilarant, d’autant plus que ce numéro commençait sur un mode moins heureux, relevant davantage de l’exercice d’entraînement, quand les acteurs impriment progressivement les caractéristiques d’un animal à leur personnage.
Les interventions des orateurs étaient également réussies, notamment celle d’Eugénie Voisselle-Décary, avec cette politicienne arriviste et manipulatrice (solide proposition, fort bien soutenue et nuancée), mais notre coup de cœur (et celui de bien du monde, sans doute) fut ce couple de vieillards arrivant du fond de la scène et progressant lentement vers le proscenium, où ils viennent mourir après avoir discouru de la lassitude comme du bonheur de vivre.
Caroline Somers et Guillaume Choinière Émard auront eu l’audace d’offrir un jeu récitatif et monocorde, s’appuyant sur une gestuelle minimaliste (là un regard, ici une brève accolade) dans un pari vraiment osé. C’était tout petit et c’est devenu immense. L’émotion contenue dans le texte a fini par rejoindre le public. Nous étions captivés, attendris et reconnaissants.
Non, on ne s’ennuie jamais devant un Ionesco.
MOTS-CLÉS
Sainte-Thérèse
Théâtre
Jeunesse
Ionesco
Collège Lionel-Groulx