La Place Rosemère, locomotive commerciale et fiscale de la ville, a vu sa valeur foncière chuter de moitié en quelques années, passant de 10 à 5 millions de dollars. Cette perte a déjà eu un effet direct sur les finances municipales : l’an dernier, la hausse de taxes aurait dû atteindre 4,3 % ; grâce à des manœuvres comptables, elle a été limitée à 2 %, a martelé la conseillère Marie-Élaine Pitre avant que le maire, Éric Westram n’admette que la situation n’était pas soutenable.
Pour les propriétaires, le redéveloppement apparaît comme une condition de survie : « L’intention n’est pas de fermer la Place Rosemère, mais de la réinventer, de créer un véritable milieu de vie », a rappelé leur représentant. Les promoteurs ont aussi insisté sur le poids économique du site : près de 200 commerces, plus de 1 500 emplois directs et 7,5 millions de visiteurs annuellement.
Pour les élus, le PPU représente une occasion de « donner les coudées franches » à un projet qui intégrerait du résidentiel, réduirait les îlots de chaleur et permettrait la création d’un milieu de vie mixte et durable.
Une vision de quartier complet
La firme d’urbanisme mandatée par la Ville, L’Atelier Urbain a présenté le PPU comme une vision d’avenir : créer un quartier complet et inclusif, où il sera possible de vivre, travailler et se divertir au même endroit. Les orientations mises de l’avant évoquent la diversification de l’offre de logements (familles, aînés, jeunes adultes), l’ajout d’espaces verts et d’équipements collectifs, la réduction des îlots de chaleur et une meilleure mobilité, notamment par le transport actif et collectif.
C’est toutefois la densité projetée de 60 logements à l’hectare qui a alimenté les débats. Selon les calculs, cela représenterait entre 1 000 et 2 200 unités résidentielles sur un horizon d’une vingtaine d’années. Pour plusieurs citoyens, l’équation est simple : entre 4 000 et 5 000 véhicules de plus dans un secteur déjà congestionné.
La firme d’urbanisme a rappelé que ce chiffre constituait déjà une réduction importante par rapport aux 300 logements/ha initialement recommandés par la Communauté métropolitaine de Montréal. Elle a aussi insisté sur la gradation du projet : aucune densification massive à court terme, mais une vision étalée sur deux décennies.
Des mémoires citoyens percutants
Plusieurs citoyens et groupes ont profité de la séance pour déposer des mémoires détaillés.
Pour Johanne Ravary et Yves Marchand, la Ville court un risque majeur : « Le PPU Place Rosemère n’est pas un simple projet immobilier. C’est une décision qui engage notre qualité de vie, nos finances, notre territoire pour les décennies à venir. » Ils dénoncent des espaces verts « insuffisants » — à peine 2 % du site, alors que les experts recommandent au moins 30 % — et une densité qui pourrait aller jusqu’à 2 800 logements, soit près de 6 000 habitants et 4 000 véhicules supplémentaires.
Gianni Biagioni, pour sa part, a réclamé une planification plus ambitieuse et structurée : « La création d’une rue publique d’au moins 20 mètres de large est cruciale pour assurer une vraie cohabitation entre piétons, transports actifs et sécurité. » Son mémoire insiste aussi sur l’importance de stationnements souterrains, d’une bande tampon verte plus large le long de l’autoroute 640 et d’une offre minimale de 40 % de logements pour familles.
Une autre intervenante a plaidé pour qu’au moins 50 % des nouveaux logements soient du logement social, afin que Rosemère contribue à répondre à la crise de l’habitation. Mais au-delà des chiffres, c’est la voix d’une citoyenne âgée qui a marqué la salle, s’inquiétant ouvertement de sa capacité à vieillir dans la ville qu’elle aime en raison du manque d’offre de logement adapté : « Quand allons-nous avoir une résidence ? […] Ce n’est pas juste le centre d’achat, c’est des humains qui veulent se loger, qui veulent être dans des endroits sécuritaires, mais aussi avoir une qualité de vie. »
Ces critiques se sont ajoutées à un sentiment plus diffus de méfiance citoyenne. Plusieurs ont ravivé le souvenir des consultations passées, notamment celles de 2017 et 2020 sur l’ancien golf, où la participation avait été gonflée à 1 600 personnes, selon certains. La conseillère Marie-Andrée Bonneau a toutefois rectifié : quelques centaines au plus, selon les documents et la couverture médiatique de l’époque.
L’ombre des élections
Autre critique récurrente : le « timing » politique. À quelques mois des élections, des voix se sont élevées pour questionner la légitimité d’adopter un PPU d’une telle envergure. « Faites-le après le scrutin, pour éviter toute équivoque », a plaidé un intervenant.
La firme d’urbanisme a toutefois tempéré les inquiétudes : l’adoption d’un PPU ne garantit pas la concrétisation immédiate d’un projet. « Plusieurs PPU n’ont jamais vu le jour », a rappelé son représentant, Louis-Michel Fournier, évoquant les nombreux obstacles possibles — expropriations, volonté des commerçants, investissements privés à confirmer.
Un conseil municipal polarisé
La soirée a aussi révélé certaines lignes de fracture politiques alors que la conseillère et candidate à la mairie Marie-Élaine Pitre a pris la parole pour défendre le projet et insister sur l’urgence d’agir « hors de toute partisanerie ». À l’inverse, René Villeneuve s’est publiquement opposé au maire à deux reprises, se faisant rabrouer sèchement par Éric Westram.
Pour les uns, le PPU est une planche de salut fiscale et une chance de transformer un site en déclin. Pour les autres, il demeure un pari risqué, porteur d’incertitudes sur la mobilité, la qualité de vie et la légitimité politique.
Pour consulter les mémoires déposés dans le cadre de cette consultation publique, veuillez-vous rendre au : https://www.ville.rosemere.qc.ca/plan-particulier-d-urbanisme—pole-regional/
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