Elle est née et a passé toute sa vie à Oka-Kanesatake, Myra Cree (1937-2005), cette grande dame de la télévision et de la radio qui est tombée dans l’oubli, paraît-il, si ce n’est que la bibliothèque de cette municipalité porte son nom depuis peu.
En fait, il faut peut-être avoir un certain âge (disons 59 ans) et avoir un tant soit peu vécu la nuit, dans les années 1990 et un peu avant, pour conserver le souvenir de ce singulier personnage qui s’adressait à son auditoire avec une affectation coquine, une intelligence vive et un humour suave qui donnait parfois à penser qu’elle se moquait, sourire en coin, de sa propre érudition.
À la rencontre d’une voix
Cofondatrice de l’organisme montréalais Magnéto, qui se consacre à l’art sonore et radiophonique, Marie-Laurence Rancourt travaillait sur un projet touchant le phénomène de la radio la nuit. À l’ère du balado, justement, elle avait envie de soumettre qu’il n’y a pratiquement plus de nuit à la radio (et inversement) et que cette relation particulière entre un animateur, une animatrice de nuit et son auditoire ne peut donc plus exister. Du moins dans sa forme organique, celle qui suppose un contact en direct, un échange quasi intime et privilégié, à un moment où la grande majorité des bipèdes ont la tête sur l’oreiller.
Au fil de ses recherches, quelqu’un lui a un jour soumis le nom de Myra Cree, qu’elle ne connaissait pas et qu’elle a découverte avec ravissement en écoutant les archives de Radio-Canada. Elle a ressenti une sorte de coup de foudre qui lui a donné envie d’aller à la rencontre de cette voix grave et élégante, chemin faisant vers la production de ce fort joli balado intitulé La nuit Myra Cree, accessible depuis le 13 octobre.
La chose se présente en cinq segments (un prologue et quatre actes) et se veut une ode à la radio et à la voix humaine, particulièrement celle de Myra Cree dont elle nous raconte le parcours personnel et professionnel, entourée des comédiens Marie-Thérèse Fortin, Pierre Lebeau et Marcel Pomerlo, auxquels s’ajoute la pianiste Anne-Marie Voisard (sans compter la pléthore d’intervenants qu’elle a interviewés et de tous ces bouts d’entrevues qu’elle a glanés ici et là) tous prenant part à la création d’une œuvre radiophonique enregistrée, bien sûr, en pleine nuit.
«Ce que j’aime de la radio, c’est la voix et ce que ça trahit de la personne qui parle. Tout passe dans le micro. Dans les silences, aussi», propose Marie-Laurence Rancourt qui nous partage le fruit de ses réflexions et d’une recherche approfondie sur le personnage médiatique, la mère et l’amoureuse que fut Myra Cree.
À chacun sa version
Tout passe donc par la voix, celles des autres mais aussi la sienne, douce et feutrée, qui cherche le ton neutre et qui n’y arrive jamais tout à fait. Manifestement amoureuse de son sujet, l’auteure se laisse ainsi trahir par sa propre voix. Elle se laisse aussi guider par ses propres perceptions.
Or, tout ce qu’on lui a dit sur Myra Cree, tout ce que son travail d’archéologue des ondes lui a permis de découvrir sur le personnage lui a donné un tel vertige qu’elle a pris le parti de nous présenter, en bout de ligne, sa propre Myra Cree.
«Chacun avait sa version. Je ne pourrais satisfaire chacun d’eux», révèle Marie-Laurence Rancourt qui, partant de ce constat, s’est employée à formuler la sienne, en traquant notamment les voix qui lui parlaient de Myra Cree, pour saisir justement ce qu’elles trahissaient.
Elle se servirait alors de cette matière nouvelle pour peindre à son tour, et à l’encre invisible, ce portrait qui nous parvient, porté par la voix de Barbara et celle, tout aussi immortelle, de Myra Cree, composant une œuvre littéraire et philosophique qui progresse sur des musiques empruntées à Schumann, Bach, Mozart, Debussy, Grieg, Satie, et quelques autres qui font le pont jusqu’à Elvis Presley.
La nuit Myra Cree est disponible dans le balado Les vivants, podcast qui regroupe les créations documentaires de Magnéto. À écouter la nuit.
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