Car, c’est presque un drame qu’on nous propose avec cette pièce qui nous plonge dans le New York des années 1960, quand le féminisme (celui de la deuxième vague) était encore un mot qu’on ne prononçait que dédaigneusement, tout juste avant que la société occidentale ne se transforme radicalement. Dans Docile, on évoque alors un état féminin campé dans un rôle de second ordre qui laisse exclusivement aux hommes tout le haut du pavé.
Jeux de pouvoir
C’est ainsi qu’on voit apparaître un couple, Jacques et Ann, incarné par Sébastien Gauthier et Louise Cardinal, venu s’installer dans la Grosse Pomme pour mousser la carrière du premier, un photographe qui souhaite obtenir un contrat auprès d’une importante firme de produits de beauté, dirigée par Paul Walkin, grossier personnage, imbu de pouvoir comme de lui-même, et surtout magnifiquement rendu par Jean-François Casabonne.
C’est l’archétype du goujat à qui on laisse tout faire et tout dire parce qu’il possède ce que les autres n’ont pas, de ceux qu’on déteste, mais devant qui l’on s’agenouille si facilement en monnayant sa dignité à rabais.
Davantage entiché de l’épouse que du photographe, Paul Walkin fera mine d’embaucher Jacques pour se rapprocher de Ann, à qui il propose de devenir le nouveau visage des produits qu’il vend. Avec son bras droit Joseph (Luc Bourgeois), il élabore un plan duquel Jacques est évidemment exclu, un revers humiliant pour cet homme bien de son époque, ce faux macho par ailleurs infantilisé par une mère envahissante jouée par Danielle Proulx.
Humour noir et rire jaune
Il y a du Tennessee Williams dans ces âmes blessées, du Arthur Miller dans ces ambitions fanées, il y a le portrait cru d’une Amérique qui vend du rêve à ceux qui souhaitent devenir quelqu’un d’autre, qui veulent surtout ressembler à ceux qui ont «réussi». Il y a, par ailleurs, un dénouement qu’on ne voit vraiment pas venir et qui révèle une grande intelligence dans la construction d’un récit qui sème ici et là des indices qu’il ne vous servirait à rien de repérer d’emblée.
Mais il y a aussi des lignes franchement drôles dans cette comédie noire à l’humour grinçant, notamment dans la bouche de Rose (Danielle Proulx), cette mère couveuse qui exprime avec candeur (et surtout sans filtre) tout ce qui lui passe par la tête; dans le regard chargé d’ironie que Joseph pose sur toute chose; dans les distorsions langagières de Pauline (Mélanie St-Laurent), la sœur de Paul, une femme manifestement blessée (physiquement et psychologiquement), à qui l’on s’attache rapidement; dans les énormités proférées par Paul, aussi, puisque c’est le propre de l’humour noir d’arriver à rendre drôle ce qui ne l’est pas à priori.
Une esthétique particulière
Cette 20e production se démarque également par sa facture esthétique, alors que les concepteurs ont réussi à recréer l’atmosphère des séries télévisées américaines, en noir et blanc s’il vous plaît, un aspect qui colore tant le décor et les accessoires (David Ouellet) que les costumes (Cyrille Brin-Delisle) et les éclairages (Ariane Roy), jusqu’à la musique qui vient appuyer l’action, dans un environnement sonore créé par le metteur en scène Jonathan Racine. Ponctuellement, tout au long de la pièce, on est saisi par la beauté des tableaux qui nous sont proposés et qu’on observe en regardant par la fenêtre de cet appartement juché dans les hauteurs new-yorkaises.
Tous vos sens (ou presque) et votre intelligence seront donc agréablement sollicités dans cette nouvelle production du Petit Théâtre du Nord, présentée jusqu’au 26 août, au Centre communautaire de Blainville. Information: [petittheatredunord.com].
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