Devant une salle pleine à craquer, tout comme le soir précédent, l’artiste de Saint-Élie-de-Caxton a provoqué le rire généralisé du public durant plus de deux heures avec les histoires abracadabrantes de ses personnages plus grands que nature.
Cela se passait Au commencement du monde, comme l’annonçait la chanson qu’il a choisi d’interpréter en ouverture pour avertir l’auditoire que ses histoires provenaient d’un autre temps, celui de la naissance de Saint-Élie-de-Caxton, son cher village qu’il habite encore.
Tout le monde connaît, bien sûr, la fertile Mme Gélinas, qui a donné naissance, tenez-vous bien, à 473 enfants. «C’est elle qui a créé le premier bottin téléphonique», assure le conteur à l’allure juvénile et qui semble prendre un malin plaisir à pousser la métaphore.
Dans le spectacle De peigne et de misère, qu’il traîne depuis trois ans ici et en France, Pellerin concentre néanmoins son attention sur la personne pratiquant le plus vieux métier du monde… le barbier, bien entendu.
Personnage fort coloré, Méo, le barbier de son village, qui faisait des journées de 40 heures, a inventé la coupe «du client qui ne reviendra jamais», «l’effrontée», celle du front tout le tour de la tête, qu’il réalisait tandis qu’il buvait une once à l’heure. C’est que le barbier, aux dires de Pellerin, faisait de «l’alcool buissonnière».
Non seulement le conteur se permet l’exagération, mais son propos délirant prend parfois un double sens. C’est ainsi qu’il a rappelé l’école du village d’autrefois, celle des Sœurs qui vivaient dans une capine. Et les abeilles de la ruche de Méo qui allaient butiner les cerises des sœurs à capine, puisque celles-ci cultivaient les cerises… Ces «chauve-souriantes» qui avaient le vœu de textile.
Le conteur, qui avoue lui-même improviser l’ensemble du spectacle sur un minime squelette de départ, a une présence d’esprit qui n’a d’égale que sa subtilité. Pour l’apprécier et comprendre ses allusions fantasques, son vocabulaire réinventé, toute distraction est vivement déconseillée.
D’ailleurs, selon Pellerin, on peut inventer une vérité. «Un mensonge répété cent fois devient vrai», répétait son Méo, celui capable de lire dans la raie de ses clients. Celle de la chevelure, évidemment.
Quelle est donc la part de vérité, lorsque Pellerin affirme que Méo a réellement existé sous le nom de Roméo, et que les gens en sont encore très marqués puisque malgré sa mort «y’a des oreilles qui n’ont pas encore été retrouvées»?
En fait, il est difficile de relever les jeux de mots les plus croustillants du conteur, tant le public se bidonne à chacune de ses phrases.
À travers le flot décousu de mythes entourant les défunts de son village, Fred Pellerin démontre aussi son talent d’auteur-compositeur en poussant la chansonnette à quelques reprises, à la guitare. Sélectionnées sur ses trois albums, ces chansons pleines de poésie et de tendresse se révèlent fort touchantes grâce à la simplicité de leur propos.
Fred Pellerin a prouvé à Sainte-Thérèse, son invitée de deux soirs, qu’il est un digne héritier de la culture du conte québécois. Sans nul doute, le meilleur ambassadeur actuel de notre richesse collective.