D’ailleurs, on ne se demande plus sur quelle galère nous fera monter le PTDN. À peine si l’on se préoccupe de la destination. Avec les années, on a acquis la certitude qu’on nous mènera à bon port, en voguant sur des eaux bienveillantes et que, avec le doigté et la délicatesse voulus quand on prend estivalement le pari de la création, on nous fera faire un pas de plus.
À bonne distance de la métaphore, c’est un univers subtilement allégorique qu’on nous invite à pénétrer, cette fois, en nous proposant une intrigue qui vient s’ancrer dans le Québec réel et actuel, au moment où les pics des démolisseurs viennent d’en finir avec le restaurant Le Madrid, haut-lieu consacré du kitsch, avec ses dinosaures en fibre de verre et autres babioles baroques, par ailleurs incubateur d’un autre phénomène inexpliqué : le chanteur Normand L’Amour.
C’est là que se rencontrent chaque semaine Alex (Sébastien Gauthier) et Isabelle (Mélanie St-Laurent), un couple divorcé qui a choisi cet endroit, parce qu’à mi-chemin, pour échanger leur fille Léa (Louise Cardinal), au rythme des tours de garde. L’un rongeant son frein de nostalgie, l’autre cultivant sa fuite vers l’avant, ils se rejoignent momentanément dans le présent pour alimenter une nouvelle querelle qui fera encore déguerpir la petite. Où a-t-elle bien pu se cacher? C’est le nœud de l’intrigue principale, l’allégorie de la perte, des deuils qu’il faut faire pour avancer dans la vie, nous dit aussi l’auteure, sans oublier, chemin faisant, de cueillir le présent (carpe diem!).
Les ruines du Madrid, par ailleurs, son habitées (pour ne pas dire hantées) par un curieux personnage, Max (Luc Bourgeois), le serveur, qui y a non seulement perdu son emploi, mais aussi une partie de son âme, et qui revendique la propriété intellectuelle d’une œuvre qu’on lui aurait volée, tant et si bien qu’il a fomenté un plan pour le moins farfelu destiné à révéler le subterfuge à la face du Québec tout entier.
Le texte est finement écrit, dans une alternance de dialogues qui servent l’anecdote et de soliloques qui nous plongent dans le passé ému des personnages. Cette finesse, cette intelligence, on la perçoit également dans la direction d’acteurs, alors que les interprètes offrent un jeu tout en retenue, battant la mesure d’une partition qui semble épouser le rythme de la vraie vie.
Et il appert que ce soit le bon pari. Ce qu’on nous montre paraît si peu probable, de l’anecdote à la péripétie, jusqu’à une touche de surnaturel (avec Zoltar, cet automate enturbanné qui exauce des vœux à 50 cents), qu’il fallait bien trouver ce parfait dosage pour qu’on y croie, là où, nous semble-t-il, le rythme effréné et les éclats de voix propres à la comédie auraient peut-être échoué.
Et c’est drôle? N’en doutez pas. Selon les auditoires, on rigolera avec la discrétion propre à un public de première médiatique, c’est-à-dire en observateur avisé de l’objet théâtral global, comme il n’est pas exclu qu’on s’esclaffe bruyamment de certaines situations qui nous mènent aux confins de l’ironie et de l’absurde.