Nous devions surtout parler de cette activité précise, mais au fil de la conversation, l’idée s’est imposée que l’écriture et la maladie, dans son cas, étaient indissociables. Son premier bouquin, d’ailleurs, s’intitule Ma vie avec la sclérose en plaques, un récit dans lequel il fait la chronologie des événements tragiques survenus dans son corps (les premiers symptômes, le diagnostic, les pertes successives) et qui se termine par ce poème : Pour un temps, j’ai oublié qu’on vient me vêtir et me nourrir/Pour un temps, j’ai oublié qu’aux six coups de mon horloge, on vient me coucher/Pour un temps, j’ai oublié les pertes et les défaites de mon corps/ Pour un temps, tout simplement, j’ai écrit. (Le livre est disponible à la Librairie Carcajou, à Place Rosemère).
C’est en 1995, alors qu’il était tout juste à l’aube de la quarantaine, qu’il a reçu le diagnostic : sclérose en plaques de forme progressive primaire, un mal qui lui volerait lentement cette autonomie dont il se réclame encore. Pour un temps, du moins.
D’abord la musique
Musicien accompli, Pierre Grenier gagnait alors sa vie en se produisant dans les cabarets. Auteur-compositeur-interprète, il proposait alors des chansons à portée sociale qu’il a consignées sur des albums dont on peut écouter des extraits sur son site Web : [www.pigrenierlevrai.com]. La voix est belle, les chansons sont bien tournées et bien produites, du moins pour ce qui est des deux premiers opus (Pardon mon député et Pierre frappe encore), les autres ayant manifestement été réalisés avec les moyens du bord.
N’empêche, c’est l’envie de créer qui lui fait traverser chacune de ses journées et ces albums, en plus de ce qu’ils contiennent, ont donné lieu à des livrets dans lesquels sont consignés des textes expliquant la généalogie de chacune des chansons, une partition musicale, jusqu’à des liens mp3, vidéo et karaoké. On peut se procurer ces livrets en version papier, mais aussi sur le site Web où, à l’aide d’un mot de passe, ont peut obtenir tout ce qui précède.
«Il y a des gens qui placent des photos dans un album. Pour ma part, dit-il, je n’ai aucune photo, mais j’ai des chansons. Elles racontent toutes les étapes de ma vie depuis plus de quarante ans». Depuis l’époque, en fait (et là, les Thérésiens de longue date vont sans doute le reconnaître), où le grand numéro 4 s’alignait avec les Volants de Sainte-Thérèse, au hockey junior B. Au football collégial, par ailleurs, il était quart-arrière des Tribuns de Lionel-Groulx.
Une bande dessinée
Il a également produit une bande dessinée intitulée Le complot du grand chambardement, un récit de science fiction dans lequel évoluent des êtres-ballons avec des membres rétractables… dont ils n’ont guère besoin pour se mouvoir. Le personnage principal, d’ailleurs, est à son effigie. Une manière de s’affranchir de son fauteuil roulant? «Personnellement, dit-il, je suis bien dans ce que je vis. Mais c’est peut-être une façon, dans le livre, de contourner le fait que je ne marche pas». Tous les personnages sur le même pied. Une manière, donc, d’abolir les différences.
Tout est de lui, dans cette b.d. : les texte et les dessins, réalisés dans un style bidimensionnel fort intéressant, incluant les visages photographiés de lui-même et de quelques personnes de son entourage.
Un histoire de passion
Inquiet pour l’avenir, Pierre Grenier? «Cette maladie-là est arrivée dans le bon temps, raisonne-t-il. Si ça s’était passé en 1974, j’aurais été placé dans un centre d’accueil. Tandis que maintenant, on préfère garder les gens à la maison et leur fournir des soins et de l’aide. Ça coûte moins cher». Et ça lui convient parfaitement.
«Tant que j’aurai un but, je serai content. Je le dis sans aucune amertume. Cette maladie est arrivée, mais moi, ma passion est intacte», philosophe-t-il.