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Conférence : C’en est fait de notre société de consommation

Photo Reine Côté –

Durant plus d’une heure et demie, les co-auteurs ont dressé le portrait de la société de consommation canadienne et québécoise.

Conférence : C’en est fait de notre société de consommation

Publié le 12/11/2024

Deux éminents conférenciers, Jacques Nantel et Isabelle Thibeault, ont exprimé leur vision de l’économie québécoise basée sur l’industrie de la consommation lors de leur passage à La Maison Lachaîne, le 17 octobre dernier.

Au cours de la dernière année, Jacques Nantel, professeur émérite de marketing à HEC Montréal pendant 40 ans, a décidé de prendre la plume pour dresser l’état du modèle économique dans lequel évoluent les Québécois en collaboration avec Isabelle Thibeault, une anthropologue de la consommation qui est aussi spécialiste de l’insolvabilité et œuvre à l’ACEF.

Malgré leurs divergences politiques, les deux analystes économiques sont parvenus au même constat et l’expriment dans un bouquin paru en septembre sous le titre : C’en est fait de notre société de consommation.

Durant plus d’une heure et demie, les deux conférenciers ont résumé l’essentiel de leur bouquin, soit l’état de l’endettement des Canadiens et des Québécois, renforcé par l’incitation extrême à la consommation sous prétexte qu’elle participe à l’économie.

Le gouffre

Pour M. Nantel et Mme Thibeault, les chiffres de l’endettement pourtant éloquents démontrent au contraire que l’on se dirige vers un gouffre.

« Notre société de consommation est désormais au pied du mur. Ce n’est ni une fatalité ni la fin du monde qui arrive…à la condition de changer et de se poser les bonnes questions », note Isabelle Thibeault.

« L’économie de consommation a davantage changé au cours des cinq dernières années qu’au cours des cinquante années qui les ont précédées », affirme pour sa part le professeur Nantel.

Crise climatique qui accroît la pénurie de produits alimentaires, inflation structurelle qui risque d’en découler alors que l’endettement des ménages augmente, voilà des facteurs impactant notre société, pense-t-il.

« Lorsque c’est la Banque du Canada elle-même qui s’inquiète pour la santé de notre économie, de la surconsommation, du surendettement des ménages, le message retentit de manière encore plus percutante », fait valoir M. Nantel, qui n’hésite pas à qualifier de « malade » cette société où la précarité alimentaire touche un ménage sur trois.

D’entrée de jeu, Mme Thibeault met en lumière le taux d’endettement actuel de 186 %, alors qu’il était de 89 % il y a 40 ans.

Photo Reine Côté –
Isabelle Thibeault, de l’ACEF, et Jacques Nantel, antérieurement professeur de marketing à HEC, ont lancé en septembre leur livre : C’en est fait de notre société de consommation.
 

Société riche

La société canadienne n’a jamais été aussi riche, signalent communément M. Nantel et Mme Thibeault.

En 100 ans, l’économie a profité d’un essor incroyable, surtout grâce à la hausse de la productivité, facilitée par la gratuité de l’électricité avec la nationalisation d’Hydro-Québec et l’arrivée massive de femmes sur le marché du travail.

En moins de 50 ans, leur participation active est passée de 35 % à 75 %, ce qui confère une augmentation notable du revenu des ménages et donc d’une demande accrue en produits et services.

Mais, car il y a un mais, cette richesse est mal répartie, fait observer M. Nantel en citant l’équipe de Silas Xuerab, qui fait ressortir qu’au Canada : « le revenu moyen avant impôt a augmenté de 20 % pour les 50 % les plus pauvres depuis 1982, tandis qu’il a plus que doublé pour le 1 % le plus riche et quadruplé pour le 0,01 % le plus riche ».

Habitation, transport et alimentation

L’automobile a permis l’étalement urbain. Au début des années 1960, le Québec comptait 5,3 personnes par voiture, alors qu’il comptait 1,03 voiture par citoyen en 2021.

Des ménages de plus en plus petits habitent des logements souvent plus grands.

Autre statistique intéressante : le Canada ne comptait que 9,3 % de ménages composés d’une seule personne en 1961, une proportion ayant gonflé à 29,34 % en 2021, tandis que les ménages de cinq personnes et plus ne représentent plus que 8,4 % à la différence de 32 % au début des années 1960.

Il ne faut pas oublier que la croissance de la productivité mise sur le marketing à outrance, poussant ainsi les gens à consommer toujours plus et à s’endetter davantage. Pour Isabelle Thibeault, l’un des facteurs aggravants du système de consommation et qui le maintient est le sentiment d’appartenance et l’importance d’y correspondre.

De nouveaux modèles

Or, il y a eu la pandémie. Puis l’après-pandémie avec la hausse du taux directeur imposé par la Banque du Canada et la période inflationniste qui s’en est suivi a entraîné une hausse vertigineuse de l’accès à la propriété avec un doublement des prix, sans même que les salaires bénéficient d’une hausse proportionnelle. 

« L’économie ne devrait-elle pas servir les gens et la collectivité plutôt que l’inverse ? », questionnent les deux auteurs.

Dans ce contexte, M. Nantel et Mme Thibeault préconisent la mise en place de nouveaux modèles de consommation comme l’autopartage, le vélopartage, l’abonnement à un détaillant spécialisé en équipements sportifs ou encore les cuisines collectives. Des pratiques pouvant considérablement réduire l’endettement.

« Mais qu’on se le dire clairement. Si le fait de partager une voiture entre divers utilisateurs est une solution à l’endettement et aux changements climatiques, c’est aussi une menace à la croissance économique et à celle du PIB », observe le duo d’auteurs.

« De nouveaux modèles pourraient nous permettre de tout avoir, communauté incluse. Nous restons cependant tellement conditionnés à opposer confort individuel à partage communautaire que le passage sera difficile », croient Jacques Nantel et Isabelle Thibeault.

Selon eux, il y a nécessité de repenser notre approche de la consommation et de l’endettement et de lancer un débat collectif sur les choix économiques et sociaux.

« Ce serait bien de pouvoir s’imaginer que nous pouvons réussir ensemble, au profit de tous, ou au moins de retenir que nous ne sommes pas notre argent ni notre réussite financière. On est bien plus beaux que ça, concluent les deux auteurs.