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La lumière au bout du tunnel

Pier Paquette, Christian Bégin et Patrice Coquereau, dans une scène de Pi…?!

La lumière au bout du tunnel

Publié le 02/03/2010

L’appartement est d’allure résolument contemporaine. Son décor en noir et blanc, aux lignes épurées, en témoigne. Mais les murs sont un peu tout croches, signe révélateur que tout n’est pas au beau fixe dans ce luxueux intérieur. Les bruits d’un accident, freinage, ferraille et voix paniquées se font entendre alors qu’un homme est seul en scène. C’est Emmanuel (Christian Bégin), la victime de cet impact routier, qui, huit mois plus tôt, l’a laissé cliniquement mort pendant dix-sept minutes…

Déprimé, désabusé, Emmanuel se laisse convaincre par sa conjointe Gabrielle (Marie Charlebois) d’organiser un souper avec un couple d’amis, histoire de reprendre contact avec la vie. Sa seule condition: ne pas parler de l’accident, sujet qui, évidemment, planera lourdement sur la petite assemblée et qui deviendra bien vite inévitable.

Sue (Sonia Vigneault) et Pierre-Louis (Pier Paquette) s’amènent donc, horticultrice anglophone et professeur volubile, marchant un peu sur des œufs. Aux efforts de Gabrielle pour faire comme si de rien n’était, «comme avant», se heurtent le comportement destructeur et les interventions dérangeantes d’Emmanuel. Les silences se font pesants, les malaises, palpables. Le repas se transforme toutefois en un véritable délire avec la visite imprévue de Marc (Patrice Coquereau), frère de Gabrielle, obsédé par la mort, le Christ et le nombre «pi».

Avec Pi…?!, pièce présentée au Théâtre Lionel-Groulx, dimanche dernier, l’auteur Christian Bégin et ses complices des Éternels Pigistes abordent de façon différente la vie, la mort et ce que l’on choisit de faire entre les deux. On parle de la mort physique, mais aussi de la mort de l’amour, la mort des rêves, des idéaux. Au fil du repas, les personnages révèlent leurs angoisses profondes, aidés par l’alcool et les jeux de société: la peur de vieillir, de mourir seul, d’être passé à côté de sa vie. Le sujet est lourd, mais le texte ne l’est pas, habilement écrit et joué, ponctué de touches d’humour bienvenues.

La mise en scène de Marie Charlebois laisse beaucoup de place aux silences qui, bien souvent, sont plus évocateurs que les mots. Trouvaille superbe aussi, alors que la soirée prend des airs de dernier repas, rappelant La Cène de De Vinci, traduisant ainsi la vision miraculeuse que les convives ont d’Emmanuel.

Chaque comédien apporte nuances et sensibilité à son interprétation: Christian Bégin incarnant Emmanuel plein d’un désespoir résigné, Marie Charlebois jouant Gabrielle avec une douleur sourde, Sonia Vigneault apprenant à Sue à regarder ses peurs en face sous des dehors insouciants, Pier Paquette révélant le côté vulnérable d’un Pierre-Louis à la langue trop pendue, Patrice Coquereau insufflant à Marc une certaine sagesse de même qu’un sens comique inattendus. C’est troublant, Pi…?!, sûrement parce qu’on s’y reconnaît tous un peu, mais la fin nous laisse entrevoir la lumière au bout du tunnel.