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Projet de loi 93 : une menace à l’autonomie municipale

Photo tirée du LinkedIn de M. Turp –

Daniel Turp, professeur émérite de la Faculté de droit de l’Université de Montréal.

Projet de loi 93 : une menace à l’autonomie municipale

Publié le 17/03/2025

Il y a des lois qui organisent notre vie en société, garantissent nos droits et encadrent le fonctionnement entre nos institutions.

Et puis, il y a des lois comme le projet de Loi concernant notamment le transfert de propriété d’un immeuble de la Ville de Blainville (Projet de loi no 93), qui font exactement l’inverse : elles abolissent les règles, écartent les tribunaux et balaient du revers de la main des décennies de protections environnementales et démocratiques.

Il ne s’agit pas seulement d’un abus flagrant du pouvoir législatif dans ce cas particulier. Et l’on est ici en présence d’une rupture grave avec les fondements mêmes d’un état de droit et une atteinte au principe de la primauté du droit.

Des conséquences irréversibles

Le projet de loi no 93 vise un site naturel reconnu pour sa richesse écologique. Ce terrain, protégé par des règlements municipaux et métropolitains, a été identifié comme un milieu d’intérêt métropolitain. Dans son rapport de septembre 2023 et après analyse, le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) a d’ailleurs conclu que ce site ne devait pas être détruit.

Or, le gouvernement choisit non seulement d’ignorer ces recommandations du BAPE, mais de neutraliser toutes les règles qui assurent normalement la protection de tels milieux. Le gouvernement fait ce choix en dépit du fait qu’il existe une alternative qui fait l’objet d’un large consensus : poursuivre les activités de l’entreprise sur un terrain déjà détenu par l’État, historiquement désigné pour ce type d’usage et déjà largement hypothéqué par les activités de l’entreprise.

Une remise en cause de l’État de droit

Le Projet de loi no 93 ne se limite pas à une décision mal avisée sur un site précis. Il introduit une pratique dangereuse, car il s’agit d’une loi taillée sur mesure pour contourner toutes les normes de notre droit de l’environnement et de notre droit municipal, et contrecarrer l’exercice d’un véritable contrôle judiciaire.

Ce projet de loi confère en outre une immunité quasi absolue pour l’entreprise privée qui exploitera le site. En termes clairs, le gouvernement autorise l’entreprise à agir impunément, en dehors de tout cadre juridique, puisque le projet de loi suspend l’application des règles de protection de l’environnement et empêche tout recours judiciaire avant le 15 avril 2025. À cette date, les dommages environnementaux pourraient avoir été causés, et s’avérer aussi définitifs qu’irrémédiables. La destruction sera complète et toute contestation juridique deviendra inutile à l’expiration de ce délai.

Depuis quand l’Assemblée nationale du Québec peut-elle décider qu’un terrain devient une zone hors-la-loi, soustraite aux normes environnementales et urbanistiques, et même à l’examen des tribunaux ? Le droit ne peut pas être une simple variable d’ajustement, modifiable selon l’urgence d’un projet. Si cette approche est validée, quelle sera la prochaine loi qui suspendra nos protections collectives au nom d’un impératif du moment ? Qui sera surpris de voir d’autres entreprises réclamer ensuite le même privilège ?

Un précédent inquiétant pour toutes les municipalités

Les municipalités ont le devoir de protéger leur territoire et d’assurer un aménagement cohérent et durable de celui-ci. C’est pour cette raison qu’elles adoptent des règlements d’urbanisme et que des outils comme le Plan métropolitain d’aménagement et de développement (PMAD) existent.

Le Projet de loi no 93 envoie un message clair : ces protections ne sont valables que tant que le gouvernement accepte de les respecter. En un seul vote, des années de planification peuvent être effacées.

La Ville de Blainville n’a pas été consultée. La Communauté métropolitaine de Montréal (CMM), qui avait approuvé la protection de ce territoire, n’a pas eu voix au chapitre. Pourtant, ces instances sont en première ligne lorsqu’il s’agit de gérer nos milieux de vie. Si leur rôle peut être ignoré aussi facilement, quelle est encore leur légitimité ?

Les membres de l’Assemblée nationale doivent refuser cette dérive

Ce projet de loi n’est pas une simple mesure administrative. Il marque un tournant inquiétant dans la manière dont l’État du Québec exerce son autorité sur le territoire. En fait, ce projet de loi constitue en réalité un véritable abus du pouvoir législatif.

L’Assemblée nationale ne peut pas adopter une loi qui, par sa nature même, bafoue les principes qu’elle est censée défendre, y compris ceux de l’Accord de Paris de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques qu’elle a approuvé le 16 novembre 2016.

Les membres de l’Assemblée nationale doivent en toute conscience refuser de cautionner un précédent qui affaiblit la protection de l’environnement, constitue une atteinte grave à l’autonomie municipale et mine la primauté du droit. Le projet de loi no 93 doit être retiré dès maintenant avant que l’exception qu’il prétend être ne devienne la règle.

Daniel Turp
Professeur émérite de la Faculté de droit de l’Université de Montréal