Le roman suit Julia Blair, une jeune femme qui tente d’écrire un mémoire sur La Cloche de détresse, tout en dérivant dans une ville étrangère, dans ses pensées, dans ses souvenirs. Des fragments de lectures, des scènes de voyage, un amour trouble. « C’est un livre qui parle d’une quête identitaire. D’assumer que cette quête-là, elle est universelle ».
C’est une œuvre hybride
Dès les premières lignes, on sent la poétesse en escale. En effet, après avoir publié deux recueils de poésie : La tiédeur des sépultures et Ennuagée, elle propose avec Qui de nous trois s’égare une œuvre dense et exigeante. « C’est une trame narrative complexe. J’aime penser que ça la rend riche. On m’a dit qu’il y avait un côté très mise-en-abyme. On [suit] une jeune femme qui écrit un mémoire de maîtrise, mais qui est aussi en relation avec les personnages qu’elle étudie », explique-t-elle alors que le projet est lui-même né d’un mémoire sur lequel elle travaillait. « J’ai eu envie de parler, à travers ce personnage-là, de ma relation avec l’écriture de mon mémoire. »
C’est un roman qui brouille volontairement les frontières entre fiction et vécu. « On est dans l’autofiction. Il y a des éléments tirés de ma vie, mais ce n’est pas mon histoire. C’est celle de mon personnage. » Alizée assume la complexité, la mise en abyme, les détours. Elle préfère laisser des traces que des explications. Ce n’est pas une pudeur, mais une manière d’explorer autrement. « Il faut creuser, tourner autour, prendre le temps. C’est comme ça que je travaille. »
Le lecteur se retrouve à marcher dans les pas de quelqu’un qui marche aussi dans des traces — et c’est un peu la vision qu’Alizée a de la littérature… et de la vie, peut-être. Il faut lire le livre pour savoir où le chemin s’arrête — ou commence. C’est le genre de voyage qu’Alizée propose : « Je ressens un malaise à nommer les choses directement. »
Pourquoi ce livre Alizée? « Répondre, au moins répondre. Pour s’écrire, ne pas seulement se poser dans les mots des autres », dit-elle après réflexion. Répondre aux voix qu’elle lit, aux autrices qu’elle porte. Notamment à Sylvia Plath, avec qui elle reste en conversation, bien au-delà du mémoire universitaire. « Je pense que, d’une certaine façon, je vais continuer à lui répondre. »
En entrant dans le bureau pour l’entrevue, Alizée regarde le premier livre sur le dessus de la pile sur mon bureau, ces objets que j’adore mais que je ne prends presque jamais. Juste à côté de la pile sur laquelle trône la dernière édition de « Le métier de journaliste » de Pierre Sormany, elle n’a pas vu son roman et ses pages un peu tordues. Lui je l’ai pris.
En s’assoyant, elle parle des correspondances qu’elle entretient, elle s’interrompt et nomme son affection pour le terme. Elle aime ce qu’il implique. Une lettre qui prend le temps. Une réponse qui n’arrive pas tout de suite. La sensation du papier que l’encre a pénétré.
Elle parle du temps qu’elle passe à la bibliothèque Deux-Montagnes, de son besoin d’écrire dans le chaos — avec un enfant sur les genoux et paraphrase Jean-Paul Sartre : un livre n’est pas un objet sacré. Il se lit, se traîne, se corne, se vit. Il habite la maison.
Elle raconte son rapport au livre à travers les âges : comme enfant, comme femme, comme écrivaine, comme mère.
Alizée Goulet est poétesse. Elle est aussi doctorante en études littéraires, mère de deux jeunes enfants. Elle parle comme elle écrit, et elle écrit comme elle vit : par fragments, par couches, par surimpressions, à coup de notes dans les marges ou punaisées sur les murs.
Aujourd’hui, elle travaille à un album illustré. Un livre pour enfants. Une création joyeuse, libre, sans mission ni leçon, juste pour le plaisir de partager une histoire. Elle raconte comment sa fille invente déjà des récits, gribouille dans les marges et dessine ses propres livres.
« J’aimerais lui redonner un peu du bonheur que les livres m’ont donné. »
Il y a dans cette démarche une tendresse immense, un espoir aussi. Que les mots circulent, qu’ils vivent. Qu’on les transmette non pas comme un legs sacré, mais comme une poignée de graines à lancer dans le vent.
MOTS-CLÉS
Auteurs d'ici
Fiction
Alizée Goulet
poétesse
Éditions Triptyque