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Quand grande précarité et itinérance s’entremêlent

crédit : Reine Côté

Quand grande précarité et itinérance s’entremêlent

Publié le 07/02/2025

Qu’on se le dise, le visage de l’itinérance change. Chez certains, il est visible. Chez d’autres, il reste caché. Or, tous ceux qui en souffrent partagent le même sentiment d’impuissance et parfois même de honte de vivre dans une situation de précarité.

Toutes ces personnes dont l’instabilité domiciliaire s’explique désormais par une crise locative sans précédent et au profil de plus en plus diversifié ont tout de même droit à de l’aide dans le grand respect de leur dignité.

Voilà la mission à laquelle s’adonnent quotidiennement les travailleurs de rue de L’Écluse, Fanny Pelletier et Martin Forget, ainsi que la coordonnatrice du secteur des Basses-Laurentides, Claudia Desrosiers.

« C’est sûr qu’on a en tête et dans le cœur plein de visages qui ont tous des histoires ou des traumas, des parcours de vie différents », relate l’équipe d’intervenants, qu’on appelle aussi des travailleurs de rue.

De multiples causes

C’est que la grande précarité, en forte augmentation, multiplie les raisons pour lesquelles les personnes se retrouvent dans la rue ou sans domicile fixe.

Alors que les problèmes de santé mentale et de dépendance aux substances illicites se trouvaient antérieurement dans le viseur, on considère désormais la perte de logement due à l’éviction de masse, puis à la relocalisation difficile en raison de la rareté des logements libres et au coût surélevé de ceux étant disponibles.

Fanny et Martin se déplacent chaque jour dans leur secteur respectif de Boisbriand et de Sainte-Thérèse où ils interviennent pour différentes demandes, auprès de diverses clientèles : des jeunes nomades, des personnes dans la rue, mais aussi des aînés en situation de grande précarité.

Des aînés qui ne peuvent financièrement se permettre de vivre dans une RPA mais qui ont tout de même besoin d’accompagnement pour des soins de santé ou d’aide domestique.  

Il y a aussi des personnes ayant tout perdu et qui n’ont d’autre choix que de dormir dans leur véhicule. Ils vont dans les stationnements des centres commerciaux ou encore dans les rues moins passantes, ce qui peut leur valoir une contravention.

Les intervenants soulignent le cas des jeunes pris en charge par la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) et qui se retrouvent seuls, au détour de leurs 18 ans, sans filet social, sans soutien de leurs parents et qui ne disposent pas de revenus suffisants pour se payer un véritable logement, même avec un boulot, ce qui les maintient en situation d’instabilité s’ils ne partagent pas une colocation.

Le clash pandémique

Or les enjeux sociaux se complexifient selon les intervenants Fanny et Martin, qui font face à tout un éventail de situations au fil de leurs rencontres.

Les intervenants avaient déjà constaté une hausse de l’itinérance au détour des années 2018-2019, mais la période pandémique a causé un clash important, remarquent-ils.

Pour ceux ayant pour seul revenu les prestations d’aide sociale, soit plus ou moins 1273 $ mensuellement, et qui se retrouvent forcés de déménager, la crise du logement a provoqué une crise personnelle, les plaçant dans une situation financière impossible.

Des personnes seules sans autre soutien financier, des mamans monoparentales qui ont des petits cocos qui font du bruit, des familles avec plusieurs enfants, voilà qui laissent dorénavant aux locateurs un pouvoir discrétionnaire, pour ne pas dire discriminatoire.

Certains en abusent, exigent dépôt avant l’emménagement, proposent des baux pour des logements déjà occupés.

Les intervenants de L’Écluse racontent le cas d’une femme qui est arrivée à sa nouvelle adresse avec tous ses meubles et effets pour se rendre compte que son nouveau logement était habité.

Ils ont aussi été témoins de personnes aux prises avec de la violence conjugale qui dorment dans leur véhicule pour éviter leur conjoint (ou conjointe) violent, faute de place en centre d’hébergement.

L’errance qui dérange

Puis au-delà de l’itinérance, il y a aussi l’errance. Des personnes en logement ou en chambre ayant besoin d’un espace vital. « Ça fait en sorte que leur salon, ça devient le banc de parc. Le salon, ça devient un café », souligne Martin Forget.

Une errance qui surprend dans les villes banlieusardes. « Ça fait peur aux gens. Parfois, il y a des plaintes auprès des policiers même s’il n’y a pas eu de délits. Ils ne font tout simplement rien de mal. Ils existent avec leur personnalité colorée, ils sont présents. Ce sont des gens qui ont peu de moyens et souvent, ils consomment très peu, mais ça fait qu’on les appelle « itinérant » », déplorent les intervenants.

Il faut ainsi retenir que le visage de l’itinérance change, qu’elle est réellement « sans » visage, que les situations pouvant mener à une grande précarité sont de plus variables. Mais surtout, que personne n’est véritablement à l’abri d’un changement de vie indésiré et que le pire obstacle pour sortir la tête de l’eau, une fois dans le fond du bain, demeure les préjugés sociaux.

Préjugés tenaces

Claudia Desrosiers et Martin Forget sont du même avis que Fanny Pelletier.

« Il y a des stigmates à propos de ce qui les emmène là, envers ceux qui choisissent de rester dans la rue. On dit « ce sont des gens paresseux, qui ne veulent pas s’aider ». Je ne dis pas que c’est tout le monde qui pense comme ça, mais je pense qu’ils ont des étiquettes très criminelles des fois sur le dos. »

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